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Le protectorat britannique en Egypte

Par Emilie Polak
Publié le 10/01/2014 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Photo non datée des troupes britanniques, les Highlanders, jouant de la cornemuse devant la citadelle du Caire en Egypte.

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En effet, de nombreux historiens, botanistes, dessinateurs et scientifiques chargés d’étudier l’Egypte ont participé à l’expédition. La place stratégique de l’Egypte a d’autre part été remarquée, le général Bonaparte s’étant notamment rendu au port de Suez pour s’assurer de la possibilité de créer un canal reliant la mer Rouge à la Méditerranée. Ce projet ne verra le jour que sous Napoléon III, son neveu, en 1869. Dès lors, le canal de Suez représente un enjeu géopolitique important qui détermine les stratégies de conquête des Européens, en particulier des Britanniques, en Egypte.
En effet, de 1914 à 1922, l’Egypte est un protectorat britannique [1] mais la présence anglaise est bien plus longue puisqu’elle dure de 1882 à 1956. Pendant près d’un siècle, les possessions égyptiennes permettent aux Britanniques d’accroître leur Empire en Afrique et d’être maîtres des routes maritimes en direction de l’Asie, via le canal de Suez. Parallèlement, l’occupation anglaise encourage la naissance d’un sentiment national égyptien.

Aux origines de la conquête britannique

Des intérêts économiques sont aux sources de la conquête britannique de l’Egypte. En 1874, le pays est criblé de dettes. Le khédive [2] Ismaïl, arrivé au pouvoir onze ans auparavant, il a entrepris des travaux conséquents dans le but de faire de l’Egypte une grande nation sur le plan international. Mais dans le même temps, lui et sa famille se sont accaparés un cinquième des terres cultivées. Pour éviter une catastrophe financière, le khédive Ismaïl vend les parts égyptiennes du Canal de Suez, soit 177 000 actions, au Premier ministre britannique Disraeli. Les Britanniques souhaitaient en effet maîtriser le Canal de Suez, celui-ci étant une étape cruciale sur la route des Indes (l’Inde étant alors une province importante de l’Empire britannique). Toutefois, cette vente n’empêche pas la faillite du souverain, deux ans plus tard. On assiste alors à une intervention des puissances européennes dans les affaires financières égyptiennes d’abord, puis de plus en plus dans les affaires politiques, les deux questions étant liées. L’intervention des Européens en Egypte se fait de plus en plus grande avec, en 1877, la formation d’un « conseil des ministres » composé d’un Français, d’un Britannique et d’un Egyptien.

Cette influence grandissante suscite des réactions antagonistes parmi la population égyptienne : les uns se dirigent vers l’Occident pour y trouver les moyens de redresser leur pays tandis que les autres se réorientent vers le message de l’Islam. La seconde réaction est à l’origine d’un mouvement nationaliste (qualifié de xénophobe et fanatique par les Britanniques de l’époque) qui aboutit à la révolution égyptienne conduite par Arabi Pacha. La révolution a pour cible le khédive, forcé d’abdiquer le 25 juin 1879, mais également ceux qui sont considérés comme les « oppresseurs », c’est-à-dire les Européens. En 1881, les officiers s’emparent du pouvoir et contraignent Tawfik, le successeur d’Ismaïl, à nommer l’un d’entre eux ministre de la Guerre et à renforcer l’armée.

En 1881, l’Egypte est donc aux mains d’un mouvement nationaliste, porté par Arabi Pacha, et opposé aux Européens. En raison de l’atteinte à leurs intérêts financiers engendrée par la révolution égyptienne, la Grande-Bretagne et la France interviennent. C’est la France qui prend l’initiative dès janvier 1882 : une note rédigée par le président du Conseil des ministre Gambetta affirme le soutien des Français au khédive Tawfik. Arabi Pacha, le meneur de la révolution égyptienne et ses partisans, ressentent ce soutien comme une provocation. Arabi Pacha consolide alors l’armée et fortifie la ville d’Alexandrie en prévision d’une éventuelle invasion. C’est pourtant cette mise en défense du port qui provoque l’attaque d’Alexandrie (11 juillet 1882) par les Britanniques, se sentant menacés, tandis que la France, voulant éviter la guerre et victime de son instabilité ministérielle, se retire. La bataille décisive se déroule le 13 septembre 1882 à Tel el Kebir : elle signe la défaite des Egyptiens et l’installation des Britanniques en Egypte. C’est aussi la fin de l’influence française dans la vallée du Nil.

L’occupation britannique de l’Egypte a ainsi des origines essentiellement économiques et s’est effectuée progressivement au cours de la décennie qui la précède. La France est exclue, du fait de son hésitation en 1882 devant le port d’Alexandrie, laissant ainsi le champ libre à la Grande-Bretagne.

L’occupation britannique (1882-1914)

En 1882, l’Egypte est occupée militairement par la Grande-Bretagne. Le but de l’intervention anglaise et de l’occupation qui la suit est de « rétablir l’ordre » : les Britanniques sont donc censés se retirer dès que la situation politique et financière du pays s’améliorerait. En réalité, ils resteront dans le pays jusqu’en 1956. Suite à la victoire des Britanniques, il n’y a pas de modification du statut juridique de l’Egypte. Officiellement, l’Egypte est toujours une province de l’Empire ottoman et il y a une continuité du pouvoir puisque les souverains de la lignée de Méhémet Ali restent sur le trône. Dans les faits, c’est le consul britannique qui dirige le pays et l’armée britannique qui assure l’ordre.

Pour sa part, la France, qui a perdu son influence sur la vallée du Nil et qui a vu le Canal de Suez lui échapper, critique l’œuvre de la diplomatie anglaise et souhaite un retour au statu quo ante, comme on peut le voir dans ce témoignage de François Charles-Roux, ambassadeur français en Egypte : « L’Egypte est en droit toujours une province de l’Empire turc. En fait, l’Angleterre tient et manie tout : à la base une occupation militaire britannique, officiellement provisoire mais ne comportant pas de terme défini, donc bénéficiant de cette vertu du provisoire qui est de durer. Au sommet, un diplomate représentant l’Angleterre, diffuseur d’une influence anglaise omniprésente, inspirateur des actes du khédive et de la politique de ses ministres, au besoin interprète des volontés impératives de Londres. » [3]

Sur le plan intérieur, le « diplomate représentant l’Angleterre » a tout pouvoir. La politique anglaise de la fin du XIXème siècle en Egypte s’incarne dans la personne de Sir Evelyn Baring (1841-1917), plus connu sous le nom de Lord Cromer. Il est issu d’une famille qui a joué un rôle important dans le monde financier anglais. De 1883 à 1907, il est « agent et consul général » du Royaume-Uni en Egypte, ce qui en fait l’homme le plus puissant du pays. Cromer met en œuvre une politique strictement financière, rééquilibrant le budget en quelques années : il augmente les exportations agraires et les investissements étrangers en Egypte. Si les mérites de Cromer en tant qu’administrateur sont reconnus par les Egyptiens eux-mêmes, sa conception de l’Orient demeure très controversée : selon Cromer, il existe un antagonisme très marqué entre Européens (qui seraient des hommes de raison et d’analyse) et Orientaux (qui seraient des hommes à l’esprit confus et chaotique, manquant d’initiative et d’énergie). De fait, Cromer illustre les idées de son époque selon lesquelles l’Angleterre apporterait le « progrès » en Egypte. A ce titre, il est pris entre deux considérations : laisser l’Egypte se gouverner seule (principe d’autonomie) ou bien gérer « convenablement » - autrement dit selon ses propres critères - le pays. Cette vision d’une Angleterre porteuse du progrès est à la base de l’impérialisme et l’on retrouve cette idée chez d’autres Britanniques, comme Milner (1854-1925), sous-secrétaire d’Etat aux finances égyptiennes, qui écrit en 1892 : « Je doute fort qu’une autre nation ait réussi à faire quoi que ce soit d’un système aussi imparfait, aussi incongru, aussi irritant que celui que nous avons trouvé en Egypte et que nous n’avions pas le droit de modifier radicalement […] Il semble qu’une évolution remarquable ait eu lieu dans le courant de ces dix ans » [4]

Sur le plan économique, si la situation générale semble s’améliorer (retour à l’équilibre budgétaire ; construction de barrages : une meilleure irrigation augmente la surface des terres cultivées ; culture du coton grandement favorisée faisant que l’Egypte devient le fournisseur de l’industrie textile anglaise), c’est surtout à une minorité que bénéficie cette embellie, malgré la « politique du ventre plein » de Cromer, visant à éviter le mécontentement populaire. En effet, le retour à l’équilibre budgétaire et la garantie des paiements des arriérés a nécessité une pression fiscale forte en Egypte, qui s’est exercée sur les classes les plus pauvres. Lord Cromer, toujours dans l’optique de favoriser les intérêts financiers de l’Angleterre en assurant l’équilibre budgétaire de l’Egypte, a développé les cultures d’exportation, comme le coton, au détriment des cultures destinées à nourrir les habitants. Si les cultures de consommation se développent tout de même, elles progressent cependant moins rapidement que la hausse de la population [5].

Sécuriser les intérêts anglais : la mise en place du protectorat

Plusieurs éléments interviennent dans la mise en place du protectorat britannique par la Grande-Bretagne. La révolte d’Al-Mahdi au Soudan [6] et la crise de Fachoda [7] ont poussé la Grande-Bretagne à réaffirmer, dans un premier temps, l’autorité de l’Egypte sous la forme d’une hégémonie anglo-égyptienne sur le Soudan, et, dans un second temps, à réaffirmer sa propre autorité dans la zone. La crise de Fachoda a en effet révélé la volonté des Français de reconquérir leur position en Egypte, et plus généralement de repositionner la France parmi les grandes puissances mondiales et coloniales. Pour cela, la France avait besoin d’un accès au Nil. La défaite française confirme la maîtrise du Nil et de l’Egypte par les Anglais. Un accord franco-britannique de mars 1899 place le Nil et le Bahr el Ghazal dans la sphère d’influence britannique.

Si l’Angleterre fait preuve de fermeté à l’international à propos de la question égyptienne, au sein du pays, Kitchener, le nouvel agent et consul général d’Egypte, laisse la place à une représentation nationale égyptienne et même à une opposition nationaliste (qui demeure cependant divisée et peu dynamique) qui se réforme derrière Mustafa Kamil en 1907. Ce mouvement nationaliste réclame l’évacuation des troupes anglaises, une constitution et un parlement indépendant.

Mais l’élan nationaliste et les volontés indépendantistes sont interrompus par la Première Guerre mondiale. Profitant de la présence de l’Empire ottoman dans le camp adverse, l’Angleterre instaure un protectorat sur l’Egypte le 18 décembre 1914 : le khédive Abbas II Hilmi abdique - il est le dernier khédive égyptien -, la monnaie égyptienne est rattachée à la livre sterling et c’est le haut-commissaire britannique qui détient le pouvoir. Cependant, l’Egypte aspire toujours à son indépendance : les nationalistes égyptiens forment le Wafd autour de Saad Zaghloul en 1918. Dans le contexte de l’après guerre et du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » selon la formule du président américain Woodrow Wilson, l’Egypte entend bien affirmer sa spécificité nationale. L’objectif du Wafd est de négocier les conditions de l’indépendance égyptienne lors du traité de Versailles qui met fin à l’Empire ottoman. Le gouvernement anglais refuse d’entendre les revendications de la délégation du Wafd, arguant que le pays n’est pas assez mûr politiquement pour être indépendant. Au Caire, des émeutes éclatent en 1919 à la suite de l’exil de Saad Zaghloul et de ses partisans à Malte. Des négociations débutent alors en juin 1920, avant d’être interrompues puis reprises. Finalement, face à la pression populaire, Sa Gracieuse Majesté reconnait l’Egypte comme Etat souverain indépendant le 21 février 1922, mettant ainsi fin au protectorat. Néanmoins, la fin du protectorat britannique est soumise à certaines conditions : l’Angleterre doit toujours pouvoir être en mesure d’assurer des lignes de communication avec le reste de son empire, pouvoir intervenir militairement pour la défense de l’Egypte, garantir la protection des étrangers et des minorités, enfin, le Soudan reste britannique.

En dépit de la fin du protectorat, l’influence britannique persiste, de même que l’occupation militaire. L’objectif de l’Angleterre durant toute la première moitié du XXème siècle est de maintenir son influence sur le Canal de Suez afin de défendre ses intérêts économiques. Nasser signe un traité avec Londres le 19 octobre 1954, dans lequel les Britanniques s’engagent à quitter l’Egypte dans les dix-huit mois, excepté la zone contiguë au Canal de Suez. De plus, une clause est ajoutée précisant qu’en cas de crise, les Anglais sont autorisés à revenir en Egypte. Cette clause devient caduque suite à l’expédition de Suez de 1956, qui signe le départ des Britanniques.

Lire également :
 La diplomatie britannique au Proche-Orient au XIXème siècle
 La question égyptienne, une lutte d’influence franco-britannique (1798-1882)
 La pénétration allemande dans l’Empire ottoman à la fin du XIXème siècle (1880-1914)
 Les relations russo-ottomanes au XIXème siècle. Première partie : du début du siècle à la guerre de Crimée
 Les Relations russo-ottomanes au XIXème siècle. Deuxième partie : du milieu du siècle à la Première Guerre mondiale
 1875-1878 : Une crise de l’Empire ottoman
 Expédition d’Egypte (1798-1801)

Bibliographie :
 AHMED J-M, The Intellectual Origins of Egyptian Nationalism, London, Oxford University Press, 1968.
GRESH Alain, VIDAL Dominique, Les 100 clés du Proche-Orient, Paris, Pluriel, 2011.
GRIMAL Henri, De l’Empire britannique au Commonwealth, Paris, Armand Colin, 1999.
GUIDERE Mathieu, Atlas des pays arabes. Des révolutions à la démocratie ? Paris, Editions Autrement, 2012.
WESSELING Henri, Les Empires coloniaux européens (1815-1919), Paris, Folio Histoire, 2009.

Publié le 10/01/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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