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L’actualité politique en Egypte : le vote de la Constitution

Par Emilie Polak
Publié le 29/01/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

EGYPT, Cairo : Head of Egypt’s High Election Commission, Judge Nabil Salib © stands among members of the commission as he heads a press conference to announce the voting results of a referendum on January 18, 2014 in Cairo. Egyptian voters have approved a new constitution by 98.1 percent.

AFP PHOTO MAHMOUD KHALED

Retour sur les révolutions égyptiennes

En février 2011, Hosni Moubarak quitte le pouvoir, après 29 ans, suite à des manifestations réclamant sa destitution. En juin 2012, Mohammed Morsi est élu président au suffrage universel, avec 52% des voix. Mais un an après son arrivée au pouvoir, la politique de Mohammed Morsi est vivement contestée. L’opposition, qui mêle plusieurs groupes (laïcs de gauche, partisans d’Hosni Moubarak ou groupes révolutionnaires [1]), reproche à Mohammed Morsi une dérive dictatoriale et une tendance à servir les intérêts de son propre parti, les Frères musulmans.
Le 1er juillet 2013, l’armée, menée par le général Abdel Fattah Khalil al-Sissi lance un ultimatum au président. A l’expiration de cet ultimatum, le 3 juillet 2014 [2], le président Morsi est destitué : des dirigeants des Frères musulmans sont arrêtés. Le lendemain, Adli Mansour, magistrat égyptien, est nommé président de la République par intérim de facto. Abdel Fattah Al-Sissi est nommé ministre de la Défense et vice-Premier ministre. Le nouveau gouvernement promet que des élections libres seront organisées prochainement, auxquelles tous les partis, y compris les Frères musulmans, pourront participer. En attendant, la Constitution égyptienne est suspendue.

La rédaction de la Constitution

La destitution de Mohammed Morsi en juillet 2013 explique la nécessité de mettre en place une nouvelle Constitution pour l’Egypte. Les manifestants opposés au régime reprochaient essentiellement à l’ancienne Constitution d’islamiser la législation du pays. Dès septembre 2013, une commission, appelée le « Comité des 50 », est chargée de réviser la Constitution [3]. Cependant, ce « Comité des 50 » est composé de membres qui ont tous été nommés par le président par intérim, Adli Mansour, présenté par l’opposition comme étant sous les ordres d’Al-Sissi. Deux sièges du comité sont réservés aux partis islamistes. Mais ils sont occupés par un membre du parti salafiste Al-Nour et par un dissident de la confrérie des Frères musulmans. Les Frères musulmans ne sont donc pas directement représentés dans l’assemblée Constituante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution. 5 femmes font partie de la Constituante, contre 7 sur 100 dans celle de 2012. Le « Comité des 50 » s’est réuni à huis clos mais a publié chaque soir un compte-rendu officiel de ses travaux. La remise du texte de la nouvelle Constitution s’est déroulée le 3 décembre 2013.
Cette nouvelle Constitution renforce les pouvoirs de l’armée (le ministre de la Défense doit être un militaire et pendant les deux premiers mandats présidentiels à venir, le Conseil Suprême des Forces Armées doit approuver la nomination de ce ministre). L’article 204 de la Constitution, en particulier, a fait polémique en Egypte. Selon cet article, les civils ne peuvent pas être jugés par des tribunaux militaires, sauf en cas d’attaque directe envers l’armée (équipements, documents, soldats). Cette clause existait déjà dans l’ancienne Constitution et était l’une des raisons de l’opposition à l’ancienne Constitution. Par ailleurs, la Nouvelle Constitution, même si elle fait de l’Islam la religion d’Etat et affirme que les principes de la Sharia sont aux origines de la législation, définit la liberté de cultes comme absolue, et interdit aux partis politiques de se former sur « la base de la religion, du genre, de la race ou de la géographie ». Enfin, le dernier grand changement inclus par la Nouvelle Constitution porte sur les droits civiques : la liberté d’expression et de réunion sont affirmées, si elles sont pratiquées « en accord avec la loi », l’Etat garantit l’égalité entre tous les citoyens et assure la protection des femmes face à toutes sortes de violence. L’esclavage, le commerce sexuel et toutes les autres atteintes aux droits de l’homme sont abolis.
C’est cette nouvelle Constitution, rédigée entre septembre et décembre 2013, qui a été massivement approuvée le 15 janvier 2014. Elle ne modifie que légèrement les pouvoirs institutionnels mais atténue le rôle de la religion dans la politique égyptienne et accorde plus de droits aux citoyens, en particulier aux femmes. Néanmoins, cette approbation est sujette à caution en raison du faible taux de participation : les opposants au régime ayant préféré boycotter le vote.

Une abstention record : la légitimité de la nouvelle Constitution en question ?

La nouvelle Constitution a été approuvée par un référendum, qui s’est tenu sur deux jours le mardi 14 et le mercredi 15 janvier 2014, à plus de 98% des voix. Toutefois, le taux de participation n’est que de 38,6%, selon plusieurs sources concordantes [4]. Les partisans d’Al-Sissi et les médias officiels égyptiens ont présenté le « oui » à la Constitution comme un plébiscite en faveur du général Abdel Fattah Al-Sissi et d’un vote en opposition aux Frères musulmans.
Cependant, le plébiscite n’est pas total. D’abord, des ONG comme l’Association égyptienne pour le développement démocratique ont constaté la faible participation des jeunes Egyptiens. En revanche, les femmes d’âge adulte ont été très présentes, contrairement aux autres élections [5]. Ensuite, l’approbation presque unanime de la Constitution ne peut s’expliquer que par la popularité d’Al-Sissi et l’opposition aux Frères musulmans. En effet, ceux qui faisaient campagne en faveur du « non » ont été arrêtés : l’absence d’opposition directe explique le peu de « non » au référendum. De plus, la plupart des opposants à la nouvelle Constitution ont préféré boycotter le référendum plutôt que d’aller voter « non », d’où le fort taux d’abstention. D’autre part, les partisans d’Al-Sissi, ainsi que le gouvernement par intérim, ont présenté le fait de voter, et de voter « oui » à la Constitution, comme un devoir patriotique et comme le seul moyen de parvenir à une stabilité politique, à laquelle aspire la majorité des Egyptiens après trois ans de révolution. Ainsi, voter « non » à la Constitution était une façon de refuser l’armée, de manquer de patriotisme et d’appuyer les Frères musulmans. Dans l’esprit de beaucoup d’Egyptiens, d’après les analyses des médias occidentaux, agir de la sorte, c’était se ranger du côté des terroristes [6].
Le vote de la Constitution égyptienne est une étape dans la transition démocratique du pays, avant de nouveaux enjeux : les élections présidentielles et les élections législatives. En effet, la destitution de Mohammed Morsi en juillet 2013 a été suivie de la décision d’engager des échéances électorales (référendum pour établir une nouvelle constitution puis élections libres du président de la République et des membres du parlement), qui ont été appliquées. La tenue des prochaines élections est décidée par le président par intérim, Adli Mansour.

De nouveaux votes à venir : les élections présidentielles et législatives

Le 25 janvier 2014 ont eu lieu les célébrations du troisième anniversaire de la révolte ayant chassé Hosni Moubarak du pouvoir en 2011. Ces célébrations ont été entachées de violences : il y aurait eu plusieurs arrestations et des cas de lynchage au Caire. Au total, 49 morts seraient dénombrés, selon le ministère de la Santé, et 54 morts d’après le Front de défense des manifestants égyptiens. Le lendemain, dimanche 26 janvier 2014, Adli Mansour a annoncé que des élections présidentielles seraient organisées en Egypte, d’ici à trois mois, avant les élections législatives. Les célébrations de la révolte se sont transformées, pour les partisans d’Al-Sissi, en des manifestations demandant sa candidature aux prochaines élections présidentielles, celui-ci avait d’ailleurs laissé entendre qu’il se présenterait à la présidence de la République égyptienne si la Constitution était largement adoptée. Dans l’ensemble, le général Al-Sissi est très populaire en Egypte. D’après les spécialistes de la politique égyptienne, le choix d’organiser les élections présidentielles avant les élections législatives favoriserait la candidature d’Al-Sissi qui aurait de grandes chances d’être élu.

Si le vote de la Constitution égyptienne a fait polémique, en raison notamment du faible taux de participation et des incitations de la part de l’Etat et des partisans d’Al-Sissi à voter « oui », le référendum n’en reste pas moins une étape décisive dans la transition démocratique du pays après trois années de révolution. Les élections présidentielles et législatives constituent la suite logique de ce processus. La date de tenue de ces élections n’a pas encore été communiquée mais les présidentielles devraient avoir lieu assez rapidement d’ici trois mois. En tout les cas, Abdel Fattah Al-Sissi a obtenu, lundi 27 janvier 2014, le mandat de son chef pour se présenter à l’élection présidentielle [7]. Pour être président, Al-Sissi, âgé de 59 ans, devra soit prendre sa retraite, soit démissionner de l’armée, puisque la nouvelle Constitution ne permet qu’aux civils d’être président.

Webographie :
 http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20131201105828/
 http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-25204313
 http://www.theguardian.com/world/2014/jan/18/egypt-constitution-yes-vote-mohamed-morsi
 http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2014/01/egypt-constitution-approved-981-percent-201411816326470532.html
 http://www.courrierinternational.com/article/2014/01/23/les-jeunes-boudent-le-referendum

Publié le 29/01/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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