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Déchiffrer les hiéroglyphes : des années de travail pour quinze siècles de mystère

Par Emilie Polak
Publié le 04/02/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

Jean-François CHAMPOLLION, 1790-1832, French egyptologist, painted in 1831 by Leon COGNIET (1794-1880, French) The Art Archive / Musée du Louvre Paris / Gianni Dagli Orti / AFP

Sur la roche, est gravé un décret promulgué à Memphis par le pharaon Ptolémée V, en 196 avant Jésus-Christ Ptolémée V est un pharaon de la dynastie des Lagides. Il nait vers -210 av.J-C et meurt en -181 av.J-C.. Tout l’intérêt de cette inscription pour l’Histoire du déchiffrement des hiéroglyphes réside dans son caractère trilingue. En effet, sur la pierre de Rosette [1], on trouve le même texte traduit en deux langues différentes (l’égyptien et le grec ancien) et en trois écritures (l’alphabet grec, le démotique – c’est à dire l’égyptien copte – et les hiéroglyphes égyptiens, en égyptien pharaonique). La pierre de Rosette apparaît comme l’élément essentiel de la compréhension, puis de la traduction des anciens hiéroglyphes, plusieurs années plus tard en 1822 par Champollion.

Avant de pénétrer les secrets d’une langue dont il ne reste que quelques rares témoignages écrits, certaines conditions doivent être réunies : il faut disposer d’un corpus de textes suffisant pour établir le nombre de signes de l’écriture. Cela permet de déterminer si le système utilisé est alphabétique (une quarantaine de signes maximum), syllabiques (environ une centaine) ou idéographique (plusieurs milliers). Enfin, il est important de déterminer à quelle famille linguistique appartient la langue car on peut alors y reconnaître certaines structures. Enfin, l’existence de textes bilingues voire trilingues est un atout indéniable. Tous ces éléments sont peu à peu réunis, permettant à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes.

Le mystère des hiéroglyphes

Il est utile de faire un retour en arrière et de préciser que, bien avant la découverte de la pierre de Rosette, les hiéroglyphes suscitent la curiosité des scientifiques européens. Le premier d’entre eux est sans doute le jésuite Athanasius Kircher (1602-1680), qui a l’intuition d’un lien entre le copte et l’égyptien ancien. Il publie une traduction de manuscrits coptes, intitulée Lingua aegyptiaca restituta. Ces manuscrits ont été acquis par un certain Pietro Della Valle en 1615. Ce sont une grammaire et un glossaire copto-arabe composés aux XIIIème et XIVème siècles par des érudits coptes. Kircher suppose, et Champollion lui donnera raison par la suite, que dans une version phonétique, le copte est le dernier état de la langue égyptienne. Mais lorsqu’il aborde les hiéroglyphes, Kircher le fait en abandonnant les considérations phonétiques : il élabore une explication symbolique de la pensée égyptienne mais sans traduire les textes. Son interprétation est empreinte d’ésotérisme et s’avère peu scientifique. Champollion dit de lui, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, le 10 mai 1831 : « Qu’attendre, en effet, d’un homme affichant la prétention de déchiffrer des textes hiéroglyphiques a priori, sans aucune espèce de méthode ni de preuves ! D’un interprète qui présentait comme la teneur fidèle d’inscriptions égyptiennes des phrases incohérentes remplies du mysticisme à la fois le plus obscur et le plus ridicule ! » D’autres scientifiques se sont essayés à la traduction des hiéroglyphes ou à des hypothèses sur la nature de l’égyptien et sa parenté éventuelle avec d’autres langues. En 1762, Jean-Jacques Barthélémy (1716-1795) avance l’hypothèse selon laquelle les formes ovales, que l’on appelle aujourd’hui des cartouches [2], contiennent les noms royaux dans les inscriptions en hiéroglyphes. Cette découverte est importante, car les cartouches, éléments bien identifiables dans les textes, seront une des clefs pour transcrire les hiéroglyphes. Enfin, le dernier à s’intéresser aux hiéroglyphes de façon significative avant la découverte de la pierre de Rosette est Georg Zoega (1755-1809), un danois d’origine italienne, installé à Rome. Il a appris le grec et le copte et s’attèle aux hiéroglyphes. Il établit à partir des textes gravés sur les obélisques érigés à Rome et à partir des objets égyptiens conservés dans les collections européennes une liste de tous les hiéroglyphes qu’il connaît.

La pierre de Rosette, découverte en 1799 lors de l’expédition d’Egypte, a été perçue très tôt comme un élément crucial pour une future traduction des hiéroglyphes. C’est pourquoi, à peine découverte, la pierre de Rosette a été transportée au Caire et reproduite par trois membres de l’expédition d’Egypte : l’imprimeur Jean-Joseph Marcel, l’ingénieur Nicolas Conté et le botaniste Adrien Raffeneau-Delille. Des copies de la pierre de Rosette circulent ainsi parmi les savants et les collectionneurs européens [3]. Par ailleurs, la découverte a été relayée dans le numéro 37 du Courrier de l’Egypte, le journal officiel de la campagne d’Egypte. Ce numéro date du 15 septembre 1799 : deux mois après la trouvaille, la France était informée. Le journaliste anonyme qui rédige l’article écrit : « cette pièce offre un grand intérêt pour l’étude des caractères hiéroglyphiques, peut-être même en donnera-t-elle enfin la clef ». Toutefois, suite à la défaite française en Egypte, face aux troupes anglaises, la pierre de Rosette est cédée aux Britanniques. Elle est, aujourd’hui encore, conservée au British Museum de Londres.

Les savants européens se sont attelés à la transcription des hiéroglyphes : sans y parvenir, leurs intuitions ont tout de même contribué à leur traduction par Champollion. Le lien entre le copte et l’égyptien hiéroglyphique, les noms royaux identifiés par des cartouches et le recensement de tous les hiéroglyphes connus sont autant d’éléments sur lesquels Champollion a pu s’appuyer dans son entreprise. Enfin, la découverte de la pierre de Rosette et la diffusion de nombreuses copies achèvent de mettre en place toutes les conditions pour déchiffrer les hiéroglyphes. Ne manque plus qu’un savant dont la maîtrise des langues orientales soit excellente.

Champollion et la passion des langues orientales

Jean-François Champollion nait à Figeac, dans le Quercy, le 23 décembre 1790. Il est le septième et dernier enfant de la famille. Son frère, Jacques-Joseph Champollion-Figeac, de douze ans son aîné sera pour lui un véritable modèle. L’ascension sociale des frères Champollion a été spectaculaire : fils d’un marchand de livres ambulants, tous deux, pratiquement autodidactes, enseignent ensuite à l’Université et correspondent avec les plus grands savants de leur époque. C’est probablement son frère aîné, Jacques-Joseph qui a initié Jean-François Champollion à la culture égyptienne. Jacques-Joseph est également égyptologue et suit de près les événements de la campagne d’Egypte et ses conséquences pour la science.

La légende veut que Jean-François Champollion ait appris à lire seul en déchiffrant dans un missel des passages appris par cœur, ce qui démontre une prédisposition pour la lecture de l’inconnu. Néanmoins, ce fait n’a été relaté qu’après que Champollion a déchiffré les hiéroglyphes, on peut donc douter de sa véracité. En 1801, il rejoint son frère ainé à Grenoble, où ce dernier s’occupe de son éducation. La même année, il obtient la permission exceptionnelle d’apprendre l’hébreu avec l’abbé Dussert, qui possède une institution dans laquelle étudie le jeune Champollion, alors âgé de onze ans. Comme tout jeune garçon de l’époque, Champollion apprend déjà le grec ancien et le latin dans le cadre de ses études. Deux ans plus tard, en 1803, Jean-François Champollion s’initie à trois autres langues sémitiques : l’arabe, le syriaque et le chaldéen (l’autre nom pour l’araméen). La passion des langues orientales le suivra toute sa vie. D’autre part, Champollion est féru d’étymologie. Il cherche à retrouver les racines des noms grecs dans d’autres langues par exemple. Dans une lettre du 10 octobre 1808, il écrit à son frère : « Traite-moi de fou (…). Cela ne m’empêchera pas d’étudier mon Antiquité par les langues et les rapports d’un peuple à un autre, d’aimer les étymologies ! ». La création des lycées par Napoléon Ier, en 1804, s’avère déterminante pour Champollion : celui-ci obtient une bourse d’interne pour étudier au lycée de Grenoble. Cependant, Jean-François Champollion ne s’adapte jamais vraiment à la vie lycéenne. Les cours l’ennuient et pour se distraire, il apprend le chinois, l’éthiopien et le copte par lui-même. Fourier, préfet de l’Isère et ami de son frère, qui a participé à l’expédition d’Egypte, et l’archéologue Millin sont stupéfaits de sa maîtrise des langues et de ses études sur l’Egypte. Sur les conseils de Millin, Champollion se rend à Paris en 1807 pour suivre les cours de Silvestre de Sacy au Collège de France. Parallèlement, il travaille à la Bibliothèque impériale où il copie et recopie papyrus et manuscrits.

Jean-François Champollion présente très jeune des dispositions pour l’apprentissage des langues orientales. L’éducation qu’il a reçue et ses apprentissages autodidactes lui permettent de maîtriser le grec, le latin, l’hébreu, le chinois, l’arabe, l’éthiopien, le syriaque, le chaldéen et surtout le copte. Cette dernière langue est pour lui la clef du déchiffrement des hiéroglyphes, c’est pourquoi il la travaille tout particulièrement, s’amusant à traduire ses pensées en copte. Son goût pour l’étymologie et les rapports linguistiques entre les peuples lui fait pressentir un lien étroit entre la langue égyptienne pharaonique et le copte. Après tout, avant d’être les Chrétiens d’Egypte, les Coptes sont les premiers égyptiens. Peu à peu, Champollion élabore une méthode de transcription des hiéroglyphes, grâce, notamment à la pierre de Rosette.

Du démotique aux hiéroglyphes

Le 14 septembre 1819, Jean-François Champollion jette une liasse de papiers sur le bureau de son frère aîné, en s’écriant « Je tiens mon affaire ! ». Puis, pris d’un affaiblissement physique et moral, il ne quitte pas le lit pendant cinq jours. Voilà pour la légende [4]. Cependant, cette explication simplifiée laissée à la postérité masque le long travail de Champollion pour déchiffrer complètement les hiéroglyphes.

Champollion a vingt-quatre ans lorsqu’il se penche sur l’étude de la pierre de Rosette, en 1814. Il en possède deux copies (un fac-similé de la société londonienne et une gravure, extraite de la Description de l’Egypte), en assez mauvais état. C’est pourquoi il écrit au président de la Royal Society de Londres afin de savoir s’il peut comparer la pierre de Rosette originale avec les copies qu’il possède. Thomas Young, secrétaire de cette société, est en compétition avec Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes. C’est lui qui répond à sa lettre en lui envoyant une troisième copie, à peine améliorée. A partir de là, Champollion travaille pendant plusieurs années. Il se rend compte que le hiératique, langue intermédiaire entre les hiéroglyphes (égyptien pharaonique) et le démotique (égyptien copte) est une simplification des hiéroglyphes. Dès lors, le copte qui est la forme moderne du hiératique est donc apparenté à l’écriture simplifiée des hiéroglyphes. Le copte est essentiel car il est la dernière forme de l’égyptien pharaonique. Sûr de son hypothèse, il parvient à déchiffrer, en 1819, le nom de Ramsès dans l’un des cartouches royaux de la pierre de Rosette.

Le nom du pharaon est entouré d’une forme ovale qui le met en évidence dans le texte : l’alphabet hiéroglyphique de Champollion lui indiquait que les deux derniers signes correspondaient à la lettre « s ». Il a deviné la lecture du signe précédent « ms » deux ans auparavant : Champollion en a compris le sens grâce à sa connaissance du copte. Le mot copte « mice » signifie « mettre au monde ». Enfin, le premier signe représente un disque solaire, « râ » en copte. Ainsi, le nom de Ramsès a non seulement été déchiffré mais il a également été traduit (Râ l’a mis au monde).
Dès lors, Champollion dresse un tableau de correspondance : ce tableau recense les lettres grecques et leurs équivalents en démotique (égyptien copte) et en hiéroglyphes. La publication de ce tableau et la traduction de la pierre de Rosette achèvent le déchiffrement des hiéroglyphes.

Les découvertes sur l’Egypte et les hiéroglyphes antérieures aux recherches de Jean-François Champollion ont permis la mise en place de toutes les conditions nécessaires au déchiffrement de l’égyptien pharaonique et de son écriture, les hiéroglyphes. Champollion a rapidement l’intuition de l’intérêt du copte pour parvenir jusqu’aux hiéroglyphes : son goût pour les langues orientales et l’étymologie des mots n’est pas pour rien dans cette certitude. Néanmoins, si en 1822, les hiéroglyphes sont déchiffrés, les subtilités de la langue ne sont pas encore bien cernées par Champollion. En effet, les hiéroglyphes ne sont pas une écriture purement alphabétique, idéographique ou syllabique. Chaque signe de l’écriture peut représenter à la fois une lettre, une syllabe ou une idée ou bien les trois à la fois. D’où la difficulté pour déchiffrer cette écriture mais aussi pour en établir les règles de grammaire et de syntaxe. La trouvaille de Champollion a permis d’apporter de nouvelles connaissances sur l’Histoire de l’Egypte antique. Les textes qui sont arrivés jusqu’à nous peuvent être exploités, ce qui diversifie les sources pour faire l’Histoire de l’Egypte.

Bibliographie :
 CONRAD Philippe, Culture guides, Egypte, PUF, Paris, 2007.
 DEWACHTER Michel, Champollion, Un scribe pour l’Egypte, Gallimard, Paris, 1994.
 LACOUTURE Jean, Champollion, Une vie de lumières, Grasset, Paris, 1999.
 LAURENS Henry, L’expédition d’Egypte 1798-1801, Le Seuil, Paris, 1997.
 MURAT Laure, WEILL Nicolas, L’expédition d’Egypte, Le rêve oriental de Bonaparte, Gallimard, Paris, 1998.
 ORGOZO Chantal, « Dossier Champollion », Les génies de la science, n°23, août 2005.

Publié le 04/02/2014


Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.


 


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